Connaissez-vous le concept d’impuissance acquise ?

Particulièrement intéressant à découvrir ou à revoir pour comprendre la détresse de beaucoup de personnes aujourd’hui et pour les aider au mieux.

L’impuissance acquise démarre souvent par des premiers échecs, sans grande conséquence au départ : rater le permis plusieurs fois, être l’éternel célibataire de la bande d’amis, échouer un entretien d’embauche pour le « job de nos rêves »… Certains prendront ces obstacles comme des défis à relever et en tireront même de l’énergie. Ceux-ci ont en eux une force qui manque aux autres : celle de croire en leur capacité d’agir sur l’extérieur, ce malgré la difficulté. Ils sentent qu’ils sont dotés d’intelligence, de force, d’astuce, de chance ou d’autres atouts qui leur permettront de réussir et d’atteindre leurs objectifs. A l’inverse, au cœur de l’impuissance acquise règne la croyance que nous n’avons pas de pouvoir ou de contrôle sur ce qui nous arrive.

Dans les années soixante, le psychologue Martin Seligman développe ce concept d’impuissance acquise qui est très utile pour comprendre l’enfermement en eux-mêmes de certains individus avec les conséquences dépressives voire suicidaires qui en découlent. Seligman a conduit des expériences avec des groupes de chiens à qui on fait subir des chocs électriques et dont on observe les comportements à court et long terme. Parmi les différents groupes de chiens, ceux ne pouvant pas stopper par eux-mêmes cette violence apprennent très vite à se résigner et à ne plus éviter les chocs. Plus tard, même si une possibilité facile leur est donné d’y échapper, ils ne s’en saisissent pas et continuent à subir. L’impuissance acquise apparaît ainsi lorsqu’une personne n’a pas de résultats en dépit des efforts répétés fournis. Son environnement est ainsi fait qu’elle ne peut pas agir de manière significative et donc reste coincée dans la résignation. Lorsque cela est vécu de manière intense et répétée, cela conduit à une souffrance psychologique voire physique.

Il s’agit ici bien entendu des mécanismes du psycho traumatisme. Un enfant coincé dans une famille, où la violence verbale et physique est quotidienne, ne peut ni combattre celle-ci ni s’enfuir. Il est acculé dans la troisième réaction typique face à un environnement traumatogène : il se sidère ou se dissocie. Concrètement, il se résigne, se coupe de ses émotions et ressentis physiques, et souvent se fait le plus transparent possible afin de survivre à la situation, le temps qu’il soit assez grand pour agir et -on lui souhaite- partir.

De manière moins dramatique, l’impuissance acquise est présente lorsque nous sommes face à des situations où nous nous sentons démunis et construisons la croyance qu’il n’y a pas d’issue. Le langage utilisé est alors truffé d’expressions sans nuances : « toujours », « jamais », « personne », « tous », « c’est comme ça », « on ne peut rien y faire »… Ces mots sont la manifestation d’une défense psychologique, appelée généralisation, qui contribue à l’évitement des situations difficiles. En effet, en mettant les situations ou les relations dans des cases aussi radicales, il est plus facile de ne pas s’y confronter et d’échapper à la douleur d’un échec potentiel. C’est un mécanisme de défense dont nous faisons tous usage à un moment ou un autre. Seulement s’il devient une manière pérenne et unique de fonctionner, alors le glissement vers le « à quoi bon… » de l’impuissance acquise est inévitable et nous enferme dans un mal-être à moyen et long terme bien plus délétère.

Au niveau psychologique, l’impuissance acquise génère une dégradation de l’estime de soi. Lorsque nous croyons que nous n’avons pas de contrôle sur notre vie, que ce soit sur notre capacité à trouver un travail satisfaisant ou à échapper à des contraintes par exemple, nous nous considérons comme inadéquats, faibles et incapables de changer. L’avenir est alors vu comme bouché et sans intérêt. Nous sommes passifs et soumis aux aléas de l’existence. Les chiens n’ayant aucun pouvoir sur les chocs électriques dans l’expérience de Seligman montraient ainsi des symptômes similaires à la dépression chronique.

Au niveau physique, les conséquences sont importantes également et en lien direct avec le déficit d’estime de soi. Les individus croyant qu’ils n’ont pas de possibilité de changer souvent négligent leur santé, que ce soit au niveau de l’alimentation, du sport ou d’éventuels suivis et traitements médicaux.

L’époque que nous vivons, que ce soit en lien avec la crise climatique, la récession économique ou la crise politico-sanitaire, est terriblement source d’impuissance acquise. Peu étonnant que la santé psychologique des français soit si préoccupante et que nos cabinets de thérapeutes si débordés.

Heureusement il y a des remèdes à l’impuissance acquise ! Ici encore, il s’agit principalement de la relation à l’autre. 😊Dans ses expériences, Seligman a montré que si l’expérimentateur intervient auprès des chiens devenus apathiques pour les sortir de la zone de chocs électriques, alors l’animal peut réapprendre l’initiative et ainsi sortir de l’état d‘impuissance acquise. C’est ce que nous faisons en thérapie lorsque nous sommes auprès de nos patients et que nous les soutenons à changer leur regard sur eux-mêmes et sur le monde, afin qu’ils retrouvent de la confiance et leur puissance d’action. Spinoza insistait déjà il a 400 ans sur la puissance d’agir qui amène du sens à l’existence et de la joie. Je vous conseille ainsi la lecture du livre de Frédéric Lenoir Le miracle Spinoza qui est un excellent antidépresseur naturel, à mettre dans toutes les mains !

D’autres recherches ont étudié le lien entre le tempérament et l’impuissance acquise. Posséder un tempérament naturellement optimiste est sans surprise un atout. C’est une ressource précieuse en tant de chaos extérieur. Si ce n’est pas votre cas ou celui de vos patients, là aussi bonne nouvelle ! Cela s’apprend ! 😊 L’optimisme acquis (à rapprocher de l’attachement sécure acquis pour les connaisseurs) est un objectif très valable dans une thérapie. Un travail autant émotionnel que cognitif, en lien avec les blessures et traumatismes du passé et du présent, permet d’y parvenir peu à peu. Il me semble que nous en avons tous besoin, n’est-ce pas ?

Bien chaleureusement,

Gwenaelle