Ou comment le déploiement de notre Être s’ancre dans la découverte de l’Ombre. Yeux dans les yeux, cœur à cœur, tripes à tripes.
A quelques heures d’un rendez-vous avec une figure clef de mon passé, je sens ce travail obscur à l’œuvre dans ma psyché. Mes rêves parlent, mon corps aussi. Sans parties mentales qui jugent et s’effraient, ces traversées seraient simples.
« Tant qu’on n’a pas mangé son ombre (pendant des années), qu’on ne s’en est pas repus, l’ombre erre, affamée dans les souterrains de notre être », écrit Paule Lebrun dans La déesse et la panthère que je ne saurai trop vous conseiller.
De quoi s’agit-il exactement ? Selon moi, rien de plus qu’écouter et suivre les messages de notre corps, où se niche l’inconscient, et qui nous rappelle ces deux vérités fondamentales. 1/Nous portons en nous autant le meilleur que le pire. 2/Pour advenir à nous-mêmes, s’auto-créer et contribuer à plus grand, nous avons à descendre, telle Déméter, dans les profondeurs obscures de nos rages et désespoirs. Et aimer. S’aimer.
Pour nous femmes, accueillir la bitch, la mégère en nous. Celle qui a accumulé des siècles d’oppression, celle dont la rage pourrait réduire en cendres le vivant à des kilomètres. L’inviter à table et dialoguer avec elle. Bien sûr, elle ne se laissera pas dompter en un repas. Il en faudra des approches et des invitations. Tel l’enfant maltraité, elle hésite entre nous sauter à la gorge et se laisser aller au creux de nos bras chauds et doux.
D’exploration en exploration, pour moi grâce aux états élargis de conscience, l’apprivoisement se fait. Parfois progressivement, parfois par grandes marches explosives et terrifiantes qui nous feraient presque tout arrêter. Mais non, encore et encore, la rencontrer et… l’aimer.
Car derrière ces rages destructrices s’ouvrent peu à peu l’autre face de la médaille : la création. Et l’accès à l’Amour.
« Use your own bitch », ne plus chercher à plaire. Message pour mes sœurs. A l’état sauvage, notre bitch tapie derrière le conformisme social fait son œuvre obscure : créativité bâillonnée, corps déserté, relations toxiques, maladies… Jusqu’à quand accepterons-nous ces répétitions ? Je songe à ma mère, mes grand-mères, toutes ces femmes empêchées, diminuées, et j’honore les rencontres de ma vie m’ayant amenée à ouvrir mon cœur et mon corps aux descentes pour changer de direction.
Les archétypes et la ritualisation. Aides précieuses sur ce chemin. Pour tolérer la rage contenue en soi par des générations de femmes brisées, il faut un espace sécure et des dispositifs corporels pour ouvrir peu à peu les tiroirs, l’esprit étant dépassé par les vagues du corps. Contacter la force d’un archétype, devenir Kali, ourse ou encore sorcière, rend l’insupportable supportable, expulse les torrents de colère et de larmes, pour que peu à peu le fleuve retrouve son lit, la psyché ses contours et le corps son énergie de vie.
Grâce aux voyages archétypaux, je laisse venir les images et sensations de destruction, toutes violentes qu’elles soient, envers les hommes, avec un petit h et un grand H, dans un contenant bienveillant. Alors se réduisent les nœuds énergétiques qui m’emprisonnaient jusqu’à alors. Mon corps se régale. Et de la descente, et de la remontée.
Car, comme nous l’enseigne la mythologie depuis toujours, derrière le monstre se niche le trésor.
C’est le travail de l’Ombre. Merci à Jung d’avoir éclairé nos intellects et nos carcasses vibrantes de cet enseignement fondamental, que malheureusement tant d’entre nous évitent encore, la société dissociée y contribuant bien sûr.
James Hillman, psychologue jungien, pour qui la guérison de l’ombre est une question d’amour écrivait : « Jusqu’à quel point votre amour peut-il s’étendre aux parties brisées et ruinées de vous-mêmes, à vos parties dégoutantes et perverses ? Jusqu’à quel point pouvons-nous avoir de la compassion pour notre propre faiblesse et nos propres maladies ? Jusqu’où pouvons-nous bâtir une société à l’intérieur de nous-même sur le principe de l’amour permettant une place à chacun de nos aspects ? »
En cette période de fin d’année où le jour reprend sur la nuit, je nous souhaite de belles et puissantes descentes. Nous avons tout en nous et en dehors de nous pour cela. Il suffit juste de s’en rappeler… et d’y aller 😉