En tant que thérapeutes, constatez-vous également que la période est forte en mouvements émotionnels intenses et rapides ? Les crises, qu’elles soient conjugales, familiales ou professionnelles, dont nous parlent nos patients en séances, sont probablement amplifiées par la crise planétaire multi-facettes et se manifestent souvent, derrière les symptômes, par une sensation de vide. Objet de mon dernier livre[1], ce vide intérieur est la réaction corporelle et émotionnelle à un sentiment légitime de perte de sens, donc à un vertige existentiel.

Bien que ces chamboulements de fond soient, au final, bénéfiques à l’évolution du patient, à son cheminement vers le Soi, et que, comme l’écrivait Christiane Singer, « Les crises ne sont là que pour nous éviter le pire » (à savoir l’immobilité), il n’en reste pas moins que les systèmes nerveux tanguent sévère 😖 et qu’en tant que thérapeutes nous avons un rôle à jouer dans ces processus.

Alors comment faire ? Que faire ? Quelles techniques appliquer ? Quels plans de traitement mettre en place ?… Voici là les questions anxieuses que nous entendons beaucoup ces derniers temps en supervision.

Mes lectures récentes[2], mais aussi mes traversées personnelles du moment, m’amènent une réponse gentiment provocatrice : « Surtout ne faites rien ». Cessez de proposer une énième technique ou tâche, respirez, ralentissez, débranchez l’appareil à penser et branchez-vous à votre cerveau droit. C’est le moment de pratiquer la Right Brain Psychotherapy d’Allan Schore[3].

Les crises en cours sont principalement des réactivations de couches traumatiques, profondes et inconscientes. Selon la plupart des psychotraumatologues, la guérison de celles-ci passe principalement par la retraversée des affects refoulés dans l’inconscient, grâce à la régulation dyadique issue de l’alliance thérapeutique.

Or l’inconscient est surtout l’affaire de l’hémisphère droit (le conscient celle de l’hémisphère gauche). L’encodage des souvenirs traumatiques et la mémoire émotionnelle procédurale implicite sont des fonctions du cerveau droit. Par ailleurs, la régulation émotionnelle en thérapie est permise par les capacités intersubjectives du thérapeute (comme dans la dyade mère-bébé), qui sont latéralisées à droite : la détection des communications émotionnelles verbales et non verbales, ainsi que les réponses empathiques qui s’ensuivent. Ici se situe le « savoir relationnel implicite » (Schore) du thérapeute, qui, selon moi, constitue l’essentiel de l’expertise clinique.

Concrètement, pour activer la communication cerveau droit – cerveau droit, nous avons quatre leviers immédiats : avoir une expression calme, baisser le ton de la voix, ralentir le débit de parole et utiliser des mots simples. Tout cela, en étant capable d’écouter notre propre expérience subjective, qui est source d’informations mais aussi de dysrégulation potentielle (si résonance traumatique).  

Ainsi, pour que les changements (des modèles internes opérants, chers à Bowlby) s’opèrent dans le cerveau droit de notre patient, il s’agit d’activer le nôtre. Le plus souvent, cela nécessite une alliance préalable installée, mais pas toujours. Parfois l’âme-agit (car peut-être tout cela dépasse nos hémisphères 😉…) opère dès le premier rendez-vous.

Lors d’une première ou vingtième séance, face à un patient submergé ou déconnecté, perdu dans son vide de sens, je crois que l’ingrédient-maître à faire émerger dans l’espace thérapeutique est donc toujours la PRESENCE. Que le patient puisse sentir que nous sommes réceptifs aux très légers changements sur son visage, à la prosodie fluctuante de sa voix ou encore aux tensions de son corps… c’est-à-dire ce qu’il n’a que (très) peu vécu avec ses figures d’attachement du passé voire du présent.

Alors l’expérience relationnelle correctrice, au cœur des principes de la psychothérapie basée sur l’attachement, a lieu.

Répétée, séance après séance, crise après crise, elle devient le terreau d’un attachement sécure acquis, dont nous avons tant besoin chez un nombre grandissant d’entre nous… pour que le monde évolue.

Bon printemps à chacun,

Gwenaelle


[1] Traverser la perte de sens, Gwenaelle Persiaux, Eyrolles, 2023.

[2] L’attachement en psychothérapie de l’adulte, dirigé par Joanna Smith, Dunod, 2023.

[3] Right Brain Psychotherapy, Allan Schore, Norton, 2019