Depuis très jeune, je remercie les livres, les auteurs et les libraires pour la résilience qu’ils m’ont permise. Aujourd’hui, la lecture de certains ouvrages est une bouffée d’air dans l’ambiance étouffante générale et une ouverture salvatrice vers un demain plus lumineux et porteur de sens. J’ai ainsi beaucoup apprécié récemment Les tisserands d’Abdennour Bidar, sorti il y a quelques années mais dont le sous-titre est plus que d’actualité : « Réparer ensemble le tissu déchiré du monde ».
Envie de partager avec vous la résonance de ce livre car il porte un message important pour nous tous, en tant qu’individus, citoyens et en particulier en tant que soignants ou professionnels de la relation d’aide.
L’idée centrale d’Abdennour Bidar est celle du Triple Lien : lien à soi, lien à l’autre, lien à la nature. Un triptyque, comme on en retrouve dans beaucoup de principes psychologiques et spirituels, au service de la réparation du monde et de sa transformation. Cela m’évoque un triple alignement : retrouver son Self, c’est-à-dire sa sagesse et son calme intérieur donc un alignement vertical, pour s’ouvrir horizontalement vers les autres, afin au final de s’aligner au niveau du cœur avec le grand tout dans lequel nous vivons tant sur un plan réel que subtil.
En tant que soignants, nous œuvrons à ce Triple Lien avec les personnes que nous accompagnons par l’apaisement et la reconnexion que nous souhaitons de leurs parties blessées (lien à soi), le tissage de relations plus sécures avec leurs proches (lien à l’autre) et l’ouverture vers le monde et une vie qui vaut la peine d’être vécue (lien à la nature, à plus vaste).
J’aime l’appel de cet écrivain philosophe à l’union et à la mobilisation collective de ceux qu’il nomme les Tisserands : les personnes qui nourrissent du mieux qu’ils peuvent ce triple lien et contribuent, par leur nombre croissant, au changement en cours. Car en effet « l’optimisme est une responsabilité ». Il ne s’agit pas d’œuvrer de manière abstraite chacun dans son coin, mais de militer tout autant que de méditer, d’être dans une action autant politique que philosophique. Là est l’objectif de son livre. Le mot politique s’entend ici ainsi dans la volonté de susciter par les exemples de Tisserands déjà à l’œuvre des vocations, pour que le mouvement de réenchantement du monde puisse prendre une ampleur décisive. L’auteur cite ainsi quelques figures « complètes » comme Gandhi ou Martin Luther King qui alliaient dans leur vie et leurs paroles les deux engagements politique et spirituel. Certaines personnes publiques actuelles, telles que le Dr Louis Fouché selon moi, incarnent aujourd’hui cet appel au Triple lien et ont cette capacité d’inspirer et d’ouvrir la route. Merci et bravo à eux.
« La stimulation du triple lien réveille le moi profond. Si au contraire nous ne cultivons pas une certaine qualité du lien à nous-mêmes, aux autres et à la nature, notre âme continue à dormir et nous finissons par ne plus savoir que nous en avons une ». Cet endormissement se chronicise parfois lorsque les traumatismes vécus ont été ou sont encore trop fréquents ou trop éprouvants et que l’anesthésie permet de rester fonctionnels en surface. C’est ce qu’on appelle la dissociation et l’époque actuelle est particulièrement dissociative pour la plupart des gens. Ainsi notre travail d’accompagnement est d’autant plus précieux pour ne pas laisser plus longtemps ceux qui en ont besoin dans un vide, dans un état de « non-assistance à personne en quête de soi ».
Toutefois il est essentiel de nourrir nos propres ressources pour ne pas s’épuiser. Abdennour Bidar évoque la nécessité de cultiver « la force à l’intérieur, l’énergie du dedans ». Il me semble que la beauté de notre métier de soignants est qu’à partir du moment où nous respectons les équilibres de base (notamment les temps de repos) nos actions quotidiennes, à savoir « parler dans la langue de la vie reliée », sont elles-mêmes source d’énergie et de force. Ecouter, prendre soin de l’autre, le soutenir sont des actes de la langue de la vie reliée, qui nous rappellent notre réalité fondamentale d’êtres interdépendants et notre vocation la plus élevée : « grandir en humanité, nous éveiller à d’autres degrés d’être et de conscience ».
Erasmus de Rotterdam, humaniste de la Renaissance, écrivait : « On ne naît pas humain, on le devient ». Oui, ces années inédites nous appellent à intérioriser cet enseignement et, à travers le Triple Lien décrit avec finesse par Abdennour Bidar, le manifester dans nos pensées, paroles et actions pour que se crée peu à peu une nouvelle réalité pour l’humanité.
Chaleureusement,
Gwenaelle
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