Quand le besoin de cohérence l’emporte sur le besoin de sécurité
L’être humain est un être de besoins. Certains sont plutôt primaires, nous rappelant à notre instinct de survie archaïque, d’autres sont dits plus élevés, nous appelant à notre nature spirituelle. Nulle pertinence de s’en référer au monde animal pour évoquer les besoins primaires tant aujourd’hui, à certains égards, notre civilisation humaine semble peu évoluée et ce serait bien davantage à nos frères animaux de nous enseigner que l’inverse. Mais peut-être est-ce là un passage régressif nécessaire pour une réelle élévation de conscience et d’énergie quand nous serons suffisamment enseignés justement.
Car cette crise nous enseigne et va nous faire grandir. Je fais partie de ces optimistes rousseauistes qui croient en l’homme et à l’existence d’un sens dans cette transition obscure que j’ai souvent appelée dans mes écrits « la nuit noire de l’âme collective ».
Le climat de peur et de contraintes nous met en contact avec nos besoins fondamentaux. Parmi ceux-ci, si l’on s’en réfère aux travaux d’Abraham Maslow, nous avons des besoins physiologiques (faim, soif, sommeil, alimentation, respiration, sexualité, élimination) et des besoins de sécurité (environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise) qui semblent à la base de la pyramide. Puis existent les besoins d’appartenance (amitié, amour, famille), puis viennent enfin les besoins d’estime (reconnaissance des autres) et les besoins d’accomplissement (moralité, créativité, spontanéité).
Au vu de la situation sanitaire telle que communiquée majoritairement et assimilée ainsi par la plupart de mes compatriotes, les besoins les plus mis à mal depuis un an sont les premiers besoins. Massivement la population aujourd’hui cherche à rester en bonne santé physiologique en n’attrapant pas le virus, à vivre de la manière la plus stable possible et enfin à rester intégrée dans leurs cercles sociaux (famille, amis, collègues, voisins). Ces besoins sont en effet fondamentaux, c’est-à-dire nécessaires au bon fonctionnement quotidien, donc pour cela il s’agit de respecter les protocoles et les restrictions demandés, bien sûr pas de bon cœur mais c’est là le prix à payer pour garder santé, stabilité et insertion sociale.
Alors comment expliquer que tous ne réagissent pas de la même manière ?
Pourquoi certains, et ce dès mars 2020, s’indignent devant la gestion du gouvernement, analysent la situation autrement, cherchent et communiquent des informations contradictoires, et enfin refusent de se plier aux injonctions étatiques ? Sont-ils de dangereux inconscients à l’esprit querelleur voire paranoïaque ?
Divers angles de réponses sont possibles. Je vous propose celui des principes de l’attachement que je connais relativement bien.
Il me semble qu’une clef de compréhension se trouve dans la sécurité psychique interne de chaque individu. Selon la théorie de l’attachement, ce niveau de sécurité diffère selon la qualité des relations que nous avons eues pendant notre enfance avec les autres et avec nos parents en particulier. Les événements de vie, notamment ceux potentiellement traumatiques, interviennent également. Enfin il est aussi évoqué, dans une moindre mesure, l’influence du tempérament sur le développement du style d’attachement de chacun(e). Plus notre enfance a été sécurisante, c’est-à-dire stable, prévisible, faite d’affection et de communication émotionnelle, plus notre attachement à l’âge adulte sera sécure. A l’inverse, plus elle aura été le lieu d’épreuves, de négligence affective et de solitude, plus notre style d’attachement sera insécure et plus nous serons en difficultés pour gérer nos émotions et prendre du recul sur les situations du présent. Trois sous-types d’attachement insécure existent : anxieux, évitant et désorganisé.
Pourrait-on lire les réactions des uns et des autres selon les styles d’attachement ? Essayons.
A l’évidence, une partie de la population est dominée par la peur. Très anxieuses pour elles-mêmes et pour leurs proches, ces personnes sont vite submergées émotionnellement par les informations très anxiogènes des médias et suivent ainsi plutôt facilement les mesures appliquées. D’autres ne veulent pas mettre à mal leurs relations sociales en émettant un avis différent et se rallient donc à la soumission générale. Je reconnais ici plutôt l’attachement anxieux (ou préoccupé) qui serait autour de 20% de la population chez l’adulte.
Les personnes à l’attachement évitant (25% environ a priori) sont, toujours selon mon observation personnelle, celles qui n’adhèrent pas forcément au discours ambiant, râlent probablement dans l’intimité mais ne souhaitent pas « faire de vagues » donc respectent ce qui est demandé, du moins en public. On pourrait donc croire qu’elles sont d’accord.
Je passerai rapidement sur les personnes qui ont un attachement désorganisé (5%) dont la priorité est de survivre, c’est-à-dire de faire avec leurs chaos interne et externe qui rendent leur vie même hors-Covid très compliquée. Elles ont déjà leur lot de soucis, alors tout ce bouzin supplémentaire…
Enfin il nous reste les sécures.
Selon la majorité des études, le part d’individus sécures dans une population adulte serait autour de 50%. Seulement ce pourcentage tend à diminuer selon des études longitudinales sur 25-30 ans (en tout cas en Occident). Et certains auteurs comme Yvonne Wiart considèrent que ce chiffre est très sous-évalué et que la majorité de la population serait en fait du type insécure. Je pense que cela est très probable car, ayant perdu le lien avec la nature et les valeurs fondamentales, notre société actuelle est très malade et bien insécure en effet. Les émotions de bas niveau, comme la peur, la colère, le désespoir, la culpabilité et la honte, dominent le quotidien de la plupart d’entre nous. Cette crise ne vient que révéler au grand jour un constat préexistant.
Ainsi il me semble qu’actuellement les réactions massives de peur, d’évitement et/ou de soumission proviennent d’attachements insécures chez les individus.
Mais il y a plus à analyser ici.
Car il y a deux types d’individus sécures : les sécures « d’origine » et les sécures « acquis ». Grâce à cette distinction, nous allons retrouver ceux qui voient différemment la situation et réagissent par la critique et la désobéissance.
Les sécures d’origine sont ceux que j’ai décrits plus haut, ayant eu une histoire de vie relativement tranquille et sécurisante. Patricia Crittenden les appelle les sécures « naïfs » et les oppose aux sécures acquis. Comme leur nom l’indique, les sécures acquis avaient initialement un attachement insécure mais ils ont progressivement acquis une sécurité d’attachement, grâce à différents leviers comme le travail sur soi, des réussites ou encore des meilleures relations à l’âge adulte. Tout cela leur a permis de gagner en régulation émotionnelle et en capacité à mentaliser, c’est-à-dire à analyser et à discerner les informations. Cette sécurité d’attachement acquise (souvent courageusement) est un excellent facteur de protection contre les troubles psychiques mais aussi contre la manipulation, que celle-ci vienne d’un individu isolé (un pervers narcissique par exemple) ou un groupe de personnes toxiques et malveillantes. Ils ont ainsi de meilleurs atouts que les sécures naïfs. Ces derniers ont été quelque part trop coconnés et n’ont pas appris des épreuves de la vie à aiguiser leurs radars et leur sens critique. Ils restent ainsi des proies vulnérables pour les experts de la manipulation mentale.
L’attachement sécure acquis est aussi ce qui permet d’évoluer psychiquement, en particulier sur la satisfaction de nos besoins. J’en reviens ainsi à la pyramide de Maslow. Lorsqu’une personne a vécu des épreuves pendant l’enfance, telles que des séparations, des carences affectives ou des abus, et qu’elle a réussi à apaiser voire guérir les blessures associées, elle acquiert une vision de la vie et du sens de celle-ci différents, bien plus riches car basés sur ce qui est l’essence de la vie : la joie, l’amour et la compassion. Ces valeurs deviennent alors prioritaires dans sa vie. Ce n’est plus la sécurité à tout prix, mais l’essentiel devient de satisfaire les besoins d’accomplissement : moralité, créativité et spontanéité pour rappel. Une valeur peut-être soutient toutes les autres : la COHERENCE. La cohérence de ses pensées, des paroles et de ses actions, le plus souvent possible.
J’observe que les personnes qui s’opposent à la doxa ambiante de manière apaisée et constructive ont ce profil des sécures acquis, que ce soit dans les collectifs auxquels j’appartiens ou parmi les personnes plus médiatiques telles que Louis Fouché qui est un modèle de cohérence et d’alignement.
Personnellement, il m’a fallu plusieurs semaines en mars-avril dernier pour dépasser mes peurs et retrouver mes esprits face au choc des premières annonces. Mon besoin de sécurité a été bien éprouvé, comme tous. Mais assez rapidement ma partie sécure acquise a régulé le flot émotionnel (priorité) puis mes petites antennes ont senti un hic dans cette histoire. Et cela m’a amenée à m’informer (beaucoup), à analyser (le mieux possible) et à tirer mes conclusions (qui peuvent évoluer). A partir de celles-ci s’ancre ma cohérence. Ce texte, comme ceux qui le précèdent, est pour moi une manière de manifester cette cohérence, en contribuant à passer des messages pour que peu à peu la sécurité interne gagne du terrain dans les cerveaux et les cœurs et que la lumière l’emporte.
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