L’amour en thérapie… une question fondamentale, objet de débats toujours fructueux pour les esprits et les cœurs ouverts.

En France, avez-vous remarqué comme il est presque tabou d’associer les deux mots ? Mal compris, le concept psychanalytique de neutralité bienveillante fige encore bien des soignants dans une posture distanciée, mal vécue par les patients et frustrante, en définitive, pour eux-mêmes également. Pour ne pas que le patient ne devienne « dépendant », combien de professionnels s’interdisent certains élans du cœur comme recevoir un cadeau, dévoiler un peu de soi, prendre la personne dans les bras ou encore verser des larmes avec elle ?

Peut-être est-ce lié au fait que je sois devenue psychologue sur le tard ou peut-être est-ce ma sensibilité un poil borderline, mais personnellement je ne parviens pas à réfréner les appels du dedans en présence de quelqu’un que j’accompagne. Bien sûr, à certains moments, le contexte, certains passages à l’acte en particulier, nécessitent un positionnement ferme et cadrant du thérapeute (« le père suffisamment mauvais »), et nous devons alors appliquer des règles issues d’un contrat préétabli. Mais n’est-ce pas là aussi des marques d’un amour sincère pour le patient ? Le travail de Marsha Linehan avec les patients dits difficiles (suicidaires, borderline) est une pertinente illustration de cet art de la thérapie, ancré dans l’authenticité des émotions réciproques patient-thérapeute.

Les esprits progressent tout-de-même dans nos contrées, réjouissons-nous. Je le vois lors des formations, où le sujet de l’attachement dans la relation soignante suscite, certes des interrogations, saines et pertinentes, mais surtout un enthousiasme libérateur. Nous le constatons en particulier lorsque, avec mon amie Yoanna Micoud, nous intervenons dans des équipes en institution, des éducateurs aux psychologues en passant par les cadres et médecins. Libérez la parole, et la vie s’engouffre ! 😉

Grande satisfaction aussi de découvrir récemment le livre Un amour qui guérit de Jenny Locatelli et Edmond Marc, respectivement psychanalyste et psychologue français, qui défendent l’engagement émotionnel du soignant et placent la relation thérapeutique au cœur du processus de guérison.

Comment définir l’amour dans le lien d’accompagnement ? Faisons un tour du côté des grecs anciens pour nous éclairer. Ces derniers distinguaient trois manières d’aimer :

– Eros : le désir, parfois la passion et souvent l’envie de posséder. Le partenaire est moins vécu comme un sujet que comme un objet. C’est l’amour-manque.

– Philia : la bienveillance mutuelle, le bien-être que procure l’autre du seul fait qu’il existe. C’est l’amour-joie qu’on vit dans l’amitié par le partage des mots et des moments vécus.

– Agapè : l’amour de charité qui donne sans avoir besoin de recevoir. C’est un amour désintéressé et universel, fondé sur la joie du sujet, inconditionnel et sans attente.

L’amour du thérapeute pour son patient n’est aucun des trois. Il n’est pas éros car le désir sensuel et possessif n’a pas sa place en thérapie. L’absence de symétrie exclut également l’amour-philia, le thérapeute ne dévoilant pas son monde interne et recevant une rémunération pour le temps partagé. Ce dernier élément exclut aussi l’amour-agapè comme définition de l’amour thérapeutique, sauf si celui-ci se déploie dans un cadre gratuit.

Nos ressentis pour nos patients sont ainsi un cocktail, spécifique à chaque relation, à chacun(e), tant du côté du thérapeute que du patient. Nous y mettons nos propres couleurs et lumières. Avec certains, l’amour-philia sera dans l’air (qui n’a jamais senti, voire verbalisé, que tel ou telle patient(e) aurait pu devenir un(e) ami(e) dans d’autres circonstances ?…). Avec d’autres, pour qui nous remuons ciel-et-terre et osons la créativité, la souplesse du cadre, nous tendons vers l’agapè.

La plus grande difficulté, et en même temps une source majeure d’évolution personnelle, est d’être capable d’amour avec tous ceux qui viennent à nous pour être aidés, quelles que soient leurs caractéristiques comportementales et physiques. Il s’agit probablement ici d’un niveau de conscience à atteindre et à maintenir, le mieux que l’on puisse, en sachant que nos limites sont réelles et à prendre en compte. Cet attachement attentif et sincère, qui se développe au fil des séances, ressemble à l’amour parental. Le parent ou le thérapeute, à la fois havre et base de sécurité, se réjouit ainsi de voir l’enfant ou le patient grandir et se séparer un jour. L’amour thérapeutique est également doté de compassion, à travers une disponibilité attentive et une sollicitude patiente.
Arc-en-ciel aux mille nuances, la relation thérapeutique possède ainsi cette richesse de l’unicité, qui nous élève, par la profondeur du partage, autant thérapeutes que patients.

Gratitude pour ce métier-cadeau.

Gwenaelle