Réflexions personnelles sur le dévoilement de soi dans la relation d’aide. Bonne lecture !

A l’heure où le débat entre pro masques et anti masques risque avant tout de nous séparer alors que le lien et l’entraide sont plus que jamais nécessaires pour inventer le monde d’après, j’ai plutôt envie de vous parler de voile. Pour ou contre le voile dans la relation d’aide ? Nous est-il autorisé voire conseillé (conseillé !?!.. ô sacrilèges !…) de nous dévoiler en tant que thérapeute ou soignant dans notre travail d’accompagnement ? Le dernier numéro de Santé Mentale a déclenché un grand smile sur mon visage quand je l’ai sorti de sa fine pochette plastique il y a quelques jours : « Dévoilement de soi et Alliance thérapeutique », dossier du mois. 😊 Aborder ce thème dans un magazine consacré avant tout à la psychiatrie institutionnelle est résolument un signe d’évolution des mentalités.

Le dévoilement de soi est un sujet encore bien polémique dans nos corps de métiers de psychologues, infirmiers, médecins… Les thérapeutes ayant emprunté des voies moins académiques et plus souples d’esprit que l’université ou les écoles d’état ne mesurent pas l’empreinte toujours de mise de la fameuse « neutralité bienveillante » qui y est enseigné, implicitement, explicitement parfois. Pour certains confrères/consœurs, surtout lorsque leur institution souffre et étouffe, le statut, le langage, le bureau, la blouse parfois, semblent être des protections nécessaires pour distinguer le « nous » soignants du « eux » patients. Le dévoilement de soi est alors proscrit. La justification faite est de ne pas envahir les patients déjà fragiles d’un trop plein d’expression de soi et d’assigner ainsi à ces derniers un besoin de différenciation des places.

Et pourtant !… Vivre et faire vivre l’authenticité de la rencontre, modéliser des conduites, être source d’inspiration, normaliser des sentiments difficiles tels que la honte ou la colère, diminuer la stigmatisation et l’auto-stigmatisation (plaie des patients avec des troubles psychiatriques sévères), faire vivre au patient un sentiment d’appartenance, approcher les peu accessibles, co-construire des solutions… les bénéfices au dévoilement de soi sont évidents et la liste longue. Du dévoilement involontaire (grossesse par exemple) au dévoilement délibéré et bien pesé, nous pouvons naviguer dans les finesses de cet art de la révélation de soi au service du processus et du patient. Il s’agit bien d’un art, qui ne va pas de soi mais s’acquiert par l’expérience et le travail personnel. Les interventions révélant nos émotions ou des parties de notre vie personnelle s’ancrent sur une pratique autoréflexive subtile : que dire ? dans quel but ? de quelle manière ? et (non des moindres) à quel moment ? Tout en veillant à toujours s’ajuster aux réactions du patient qui suivent notre dévoilement. Ainsi en AEDP[1] une intervention réussie de « self-disclosure » comprend la révélation de soi, le metaprocessing (« et ça vous fait quoi que je vous partage cela ? ») et enfin l’accueil de la réponse du patient.

Dans un cadre psychothérapeutique, le dévoilement de soi est selon moi bien plus qu’un outil (comme le sont la reformulation, le ralentissement, les silences…). C’est un état d’esprit et une posture engagée et active du thérapeute. Il y a ainsi différents niveaux de dévoilement de soi. Exprimer sa fierté ou sa peine en réaction à ce que nous amène le patient est quelque chose que nous faisons tous assez aisément il me semble. Evoquer des éléments de sa vie personnelle (« vous savez, je suis très touchée aujourd’hui, parce que moi aussi j’ai vécu le deuil d’un enfant ») est bien plus engageant et nécessite du thérapeute d’avoir suffisamment exploré son intériorité et ses zones sombres pour sentir ce qui fait résonance tout en distinguant les singularités de chacun. Mais plus subtil encore est le dévoilement de soi encouragé par Irvin Yalom : celui-ci va jusqu’à exprimer à ses patients son contre-transfert lorsque ce dernier consiste en des sentiments bien difficiles à verbaliser comme l’ennui, l’agacement voire même le dégoût. Lire les récits de thérapie de Yalom vous permettra de découvrir comment il parvient à le faire avec des mots et tournures de phrases qui restent toujours respectueuses et visent à faire progresser la personne vers son potentiel.

Dans les approches humanistes comme en Gestalt-thérapie, en psychothérapie existentielle ou en AEDP, l’expérience dans l’ici-et-maintenant de la séance est le point de départ du travail thérapeutique. Par l’analyse phénoménologique de ce qui s’y déploie, thérapeute et patient progressent ainsi vers une meilleure compréhension de la problématique psychique de ce dernier et donc sa résolution progressive. Cela ne peut se faire que par l’implication du thérapeute qui utilise ses ressentis dans ce processus (« je sens comme un flottement voire un malaise là maintenant entre nous »). De mon point de vue, cela fonctionne et fait progresser une thérapie non pas seulement grâce au vécu expérientiel commun mais aussi (surtout ?) grâce à l’expérience relationnelle correctrice qui s’opère dans l’échange. Très rares (hormis dans les amitiés de grande qualité) sont les opportunités dans nos vies d’avoir ainsi la chance d’avoir des feedback sincères et approfondis sur notre manière d’être, de parler, de réagir. En thérapie cela est possible, c’est même la base de travail. Un jour je fis ainsi part à une de mes patientes de mon sentiment d’ennui voire d’agacement récurrent d’être systématiquement mise à distance par elle, ce par son discours souvent interrompu et « en surface », puis avec douceur et bienveillance je fis le lien avec le fait que ses amies finissaient très souvent par s’éloigner d’elle ce qu’elle ne comprenait pas et qui la faisait souffrir. Mon dévoilement émotionnel, maîtrisé et au service du processus, et l’échange qui en a suivi ont permis à ma patiente de mieux connaître une de ses zones aveugles[2] et d’évoluer à cet endroit. Les séances suivantes furent pour moi bien plus agréables, plus vivantes. Mais aussi l’alliance thérapeutique en est sortie renforcée. Le lieu de la thérapie doit être le lieu où tout peut être dit, y compris les critiques et les choses désagréables, sans que le lien ne soit abîmé ou détruit. En réalité il en sort même grandi car le partage basé sur l’authenticité répare les blessures d’attachement du passé en nous permettant d’expérimenter de multiples émotions (dont des tensions et des bris d’alliance transitoires) tout en conservant le lien et l’attachement. C’est ce que j’appelle l’expérience relationnelle correctrice qui est au cœur de ma pratique sur les traumas d’attachement.

Authentique. Un mot précieux, socle de la relation quelle qu’elle soit. Y compris en milieu institutionnel, y compris lorsque notre statut de médecin ou chef de service tend à nous en éloigner. Au contraire le statut peut faire peur à l’autre, surtout si cet autre a été fragilisé par la vie et par des figures d’autorité négligentes ou maltraitantes. Alors réduisons l’asymétrie dans les relations d’aide et de soins et osons l’authenticité et le dévoilement !

Gwenaelle pour OYA Formations

[1] AEDP : Accelerated Experiential Dynamic Psychotherapy, approche thérapeutique développée par Diana Fosha aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années basée entre autres sur l’attachement. https://aedp-fr.eu/

[2] Zone aveugle selon la fenêtre de Johari : ce qui est inconnu de soi et est connu des autres